La mort est mon métier, Robert Merle

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« Le Reichsführer Himmler bougea la tête, et le bas de son visage s’éclaira…

– Le Führer, dit-il d’une voix nette, a ordonné la solution définitive du problème juif en Europe.
Il fit une pause et ajouta :
– Vous avez été choisi pour exécuter cette tâche.
Je le regardai. Il dit sèchement :
– Vous avez l’air effaré. Pourtant, l’idée d’en finir avec les Juifs n’est pas neuve.
– Nein, Herr Reichsführer. Je suis seulement étonné que ce soit moi qu’on ait choisi… »

La mort est mon métier est une biographie romancée de 384 pages centrée autour d’un personnage odieux et complètement déshumanisé. Ce bouquin nous plonge au cœur de l’abominable machine à tuer qu’est le camp d’extermination d’Auschwitz, et dans l’effroyable vie de Rudolf Lang (Rudolf Hoess), commandant SS monstrueux et père de famille bienheureux à ses heures perdues. Robert Merle retrace la vie, de son enfance à sa condamnation, de ce jeune homme autoritaire, impitoyable et torturé, de ses treize ans à ses années folles – consacrées à la « lente et tâtonnante mise au point de l’usine de mort (du village d’Auschwitz) ».

Son enfance est triste et glaçante. Une enfance jugée responsable du comportement de Rudolf à l’âge adulte, et sous l’effigie d’un père sévère, paranoïaque et d’une mère absente et incapable. La tendresse et l’affection de la bonne ne pourront jamais compenser. Rudolf Lang a été élevé dans le respect des choses bien faites, dans l’amour de sa patrie et dans une éternelle haine des Juifs, qui correspond à la montée au pouvoir d’Hitler. Son perfectionnisme et sa fidélité le mèneront dans les plus hautes sphères du pouvoir décisionnaire. On suit donc le parcours chaotique d’un antihéros obsédé d’obéir aux ordres et pour qui la réussite dépasse tout entendement, parfois jusqu’à l’obsession. Lang s’engage d’abord dans l’armée allemande, puis dans le parti nazi. Cette volonté de réussite reflète son envie de fuir un quotidien banal et inintéressant, tout en retrouvant le cadre autoritaire qui fut celui de ses jeunes années. On y comprend bien, dans l’horreur, de quelle manière le nazisme avait organisé de vraies carrières d’hommes criminels, et par quels procédés les allemands y étaient entraînés, sans aucun remord. Evidemment, ceci ne justifie et ne légitime en aucun cas les actes de ces SS.

L’auteur cite lui-même en préface :

« Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l’ordre, et par respect pour l’Etat. Bref, en homme de devoir : et c’est en cela justement qu’il est monstrueux » (Robert Merle, 27 avril 1972).

Tantôt surprenant dans son cynisme, tantôt antipathique et insupportable, il est celui qui ordonne le massacre de milliers de personnes. Pis, il le « perfectionne ». De quoi vous glacer le sang. Sentiment inqualifiable face à ce spectacle inhumain, le livre nous plonge dans la tourmente, où terribles sont les idées de Rudolf et déroutantes sont ses actions. C’est l’un des rares livres où des bourreaux sont mis en scène et où l’on côtoie, graduellement, tout le processus d’invention de la solution finale.

Des camions d’asphyxie aux fours crématoires, en passant par les chambres à gaz, les êtres humains ne deviennent que de vulgaires unités, rabaissés au rang d’animaux. Tout est si minutieusement calculé afin de mettre en place la plus grande entreprise d’extermination jamais créée. L’infernale imagination des têtes pensantes de ce massacre est parfaitement retranscrite. La fin de ce livre marque la fin de l’holocauste, et l’espoir d’un monde meilleur. Mais cette fin laisse avant tout le lecteur dans un sentiment d’horreur et de haine… Comment peut-on tuer si froidement ? Difficile à aimer, ce bouquin nous plonge dans les pensées d’un officier SS, à la première personne du singulier, meneur de la plus grande boucherie du siècle dernier. Comment ne peut-on pas espérer sa mort ? Il fut pendu après son procès…
En bref
Perplexe, certain d’avoir lu l’un des pires livres sur la Seconde Guerre Mondiale, et contraint dans le même temps d’avouer que stylistiquement parlant, le livre est d’une qualité indéniable. Ça détonne. Comment ne pas être touché ? Le seul fait de lire cette œuvre terrible vous plonge dans un enfer sans fin (fond), tant les descriptions sont poignantes et écœurantes. Un livre historique à ne pas mettre forcément entre toutes les mains.

Chronique écrite en 2011

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